bureau d'étude de pratiques indisciplinées

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Au ras des pâquerettes

Magazine Échelle 01

Ces dernières années ont vu grandir un intérêt marqué pour le terrain vague. Bien que parsemé ci et là à travers la ville, sans grand soucis pour la cohésion urbaine, le terrain vague n’est pas qu’un lieu à l’abandon ni un lieu en attente du prochain développement : il est tout aussi constitutif de la ville que ne le sont les lieux construits. Permettant les propositions prospectives, gardien de la mémoire des lieux, des gens et des usages, maintenant un équilibre entre les différentes formes de densité, offrant le contexte nécessaire pour la faune et la flore sauvage et permettant aux activités illicites d’avoir lieu, une ville sans terrain vague ne serait que normée, standardisée et prévisible. Plutôt donc que de le considérer comme une anomalie qui agit à l’encontre de la ville, comme quelque chose dont il faut absolument se débarrasser, peut-être vaudrait-il mieux de considérer ces lieux orphelins comme faisant partie de la vitalité urbaine.

Mais pour que cette nouvelle considération prenne forme, encore faut-il connaitre le terrain vague. Et celui-ci ne peut vraiment être connu qu’à travers un engagement direct, ce qui exige temps, patience et lenteur. C’est aussi à travers une représentation attentive de ses différents aspects que ses qualités réelles peuvent être saisies. Je me suis donc lancée, à l’été 2015, sur une longue marche traversant l’entièreté de l’ile de Montréal d’est en ouest, afin de constituer une représentation exhaustive des qualités du vague montréalais.

Bien que d’une lenteur éprouvante et terriblement dévouée, la marche a été retenue pour traverser Montréal, précisément pour son rythme et son implication. Plutôt que d’attraper le terrain vague d’un œil distrait depuis un arrêt rapide en voiture, voire même à vélo, la marche permet à la distance parcourue d’être en continue, en temps comme en espace, connectant ce qui demeurerait autrement éparse. Précisément à cause de sa cadence, la marche donne aussi le temps d’investiguer les objets divers, plantes, insectes et autres animaux (vivants ou morts), usages, bruits et distances, qui ne peuvent être captés si suffisamment de temps y est dévolu. Au cours et à la suite de ces 6 jours de marche, quelques milliers de photos ont été prises, 125 photocollages ont été réalisés, plusieurs objets ont été récoltés, 12 terrains vagues ont été relevés et dessinés, 6 façades-paysages sont en cours de réalisation, et un herbier termine de sécher. Les quelques plantes ici présentées constituent le premier chapitre de cet herbier, auquel s’ajouteront quelques autres dizaines de spécimens. 

Comme la marche, constituer un herbier demande temps et lenteur pour la collecte, le séchage et l’identification. Mais au-delà de ces aspects plus techniques, constituer un herbier demande également de s’installer au ras des pâquerettes, au sens littéral de l’expression, pour connaitre l’état du sol, de la topographie, de l’ensoleillement, du vent, de l’humidité et des micros écosystèmes qui se forment malgré, ou peut-être plus justement à cause de l’abandon des lieux. Connaitre la flore permet de connaitre le paysage et connaitre le paysage du vague permet de reconnaitre ses spécificités, ses qualités et sa participation positive dans un paysage urbain que l’on pourrait juger d’adéquat.

Botanistes en herbe : Sarah Bengle et Gabriel Bissonnette-Reichhold