Nostalgie
Katharina Niemeyer
Professeure à l’École des médias de l’UQAM
Notre seconde rencontre avec un lieu devenu vague en notre absence est comme une première fois avec un déjà-vu arraché. Que ce soit le lieu de notre enfance, de nos vacances, de nos sorties d’école, il devient pourtant plus présent que jamais. Sa quasi-disparition physique devient mutation de souvenirs et imagination d’un espace-temps qui a été, qui pourrait être, et qui finalement - en quelque sorte - est à nouveau. Métamorphoses connues ou inconnues par le passé ou juste senties dans le présent, les terrains vagues traversent nos corps ; ils nous hantent d’un (in-)confort subtil, ils ne nous invitent pas, mais parfois ils semblent nous attendre. Ce sont ces lieux imaginaires de nos rêveries de jour et de nos insomnies de nuit, nos souvenirs flous qui surgissent en cristal. Rendre l’absence en une présence possible ; l’apparent vide des terrains vagues nous joue un détour. Il nous détourne en pointant le trop plein, la perfection lissée de nos vies superficielles ayant rendu les plis, les craques et les replis sans nuances. Les terrains vagues ne sont pas nostalgiques, mais ils jouent avec notre nostalgie en nous baladant à leur guise.
Ce sont eux qui nous habitent et non l’inverse : ils sont les objets de nos nostalgies instantanées d’un avenir en possible devenir et d’un futur passé qui n’a pas encore vu le jour ; ce sont eux qui nous font revivre le passé, nos rêves du passé, et qui nous font tourner en rond. Ils n’ont rien demandé et ils ne nous demandent rien et c’est peut-être pour cette raison de l’absence d’une signification préétablie et imposée que nous projetons, lâchons prise, pensons et passons ce moment de vague nostalgique parfait(e). Ce n’est pas juste un entre-deux doux-amer ou un regret régressif du passé. La nostalgie est un entre-plusieurs. Plénitude, regret, gratitude, bonheur, tristesse, mélancolie joyeuse, finitude et infinité - un sentiment étrange d’un espace-temps qui n’est plus, qui n’a jamais été et qui ne sera peut-être (plus) jamais, mais qui pourrait devenir ou tout simplement rester. Ces nostalgies sont peut-être plus profondes qu’un renvoi vers nos désirs, aspirations et tristesses ou nos manques, identités, solitudes et espoirs. Les nostalgies qui émanent et qui se cristallisent des terrains vagues sont des projections et reproductions de nos intérieurs au sens large du terme. Ils nous touchent, nous indiffèrent, nous flouent, nous poussent et nous reposent parce qu’au plus profond de nous leur simple être-là nous confronte à notre finitude et nous invite à la prendre pour ce qu’elle est. Le terrain vague ne se souviendra pas de notre nostalgie, il s’en fiche, mais il nous fait bien comprendre que tout, à tout moment et n’importe où, demeure autrement.