bureau d'étude de pratiques indisciplinées

Représentation

Représentation

Denis Cerclet

Maître de conférences au Département d’anthropologie, Université Lumière-Lyon 2

 

Le terme représentation est souvent évoqué à propos de la conceptualisation du rapport de l’homme à l’environnement. Ainsi s’effectue le passage entre le percept et le concept qui permet de rendre présent à l’esprit la réalité environnante. L’acte de représentation, qui dès lors sous-entend le pluriel – les représentations –, permet de penser, à la fois, l’unité du monde et la diversité des interprétations et des formulations dont elle est l’objet, élaborées ici et là, dispersées dans l’espace, à l’échelle des sociétés et des cultures. 

Le terme représentation a aussi une dimension temporelle et permet de dire la possibilité de rendre à nouveau présent. Le passé peut dès lors resurgir dans le présent et redevenir actuel à travers la reconstruction d’événements historiques. 

Ces deux usages du terme représentation en induisent un autre : la mimesis, artifice ou simulacre qui permet de donner au spectateur l'illusion que les corps, les décors, les voix et les gestes de l’œuvre d’art sont la réalité. Emmanuel Kant affirmait que l’accès à la réalité est impossible et que les objets de la connaissance ne sont pour nous que des représentations. L’espace et le temps, la réalité, sont donnés une fois pour toutes, sont objectifs : des instants et des localités se succèdent comme autant de variations autour d’un absolu.

 Que deviennent les représentations si nous considérons que cette distinction fondamentale de l’homme et de son environnement n’est plus tenable parce que nous allons vers une écologisation toujours plus prononcée de notre relation au monde ? Que deviennent-elles si la relation absorbe ce qu’il convenait de relier et outrepasse ainsi la séparation pour développer une continuité toujours renouvelée ? Ainsi en est-il des corps et de leur milieu, qui s’éprouvent, se façonnent et se pétrissent mutuellement. Tout est toujours en mouvement, continuellement créé. L’espace et le temps émanent de cette activité ; ils ne sont plus ni absolus, ni contenants et ils procèdent des corps en mouvement.

Chaque situation est une réalité particulière qui naît d’actions partagées, une contagion motrice qui ne consiste ni en l’affirmation de soi ni dans l’imitation ou la reproduction des mouvements d’autrui : chaque situation est une œuvre, un espace-temps original orchestré par tous les actants, humains et non-humains. 

Les corps sont sensibles et débordent d’une activité captivante et mémorisante. Ils se forment et se déforment dans la relation, en conservent des traces à la fois synaptiques et musculaires. Les corps sont comme des instruments de musique, ils résonnent à l’intérieur et à l’extérieur, saisissent une situation et en sont saisis.

La représentation reposait sur l’existence de référentiels, spatiaux et temporels, autour desquels s’organisait la distinction entre le présenté et le représenté. En leur absence, la représentation s’inscrit dans la continuité des gestes, des sensations, et parce qu’elle est évidemment graphique, elle est à même de se prononcer à partir de l’éprouvé, de tout l’éprouvé. En ce sens, une représentation est l’expression de ce qui certes a été, mais n’est plus qu’une hallucination.